Le voyageur peu pressé qui traverse le petit village d’Ougney par la Départementale 459, verra son regard arrêté quelques secondes par une vieille tour massive et cylindrique, qu’il apercevra à droite, en retrait de quelques jardins.
Un verrou bien placé
La présence d’un édifice féodal en ce lieu ne peut se comprendre que si l’on rappelle les traits du relief et de la topographie de cette partie de la Franche-Comté.
Notons d’abord que le château d’Ougney, quand il fut bâti n’était pas un édifice isolé.
Un coup d’œil sur une carte et quelques promenades aux alentours, révèlent la présence d’autres édifices de cette nature qui forment une ligne continue de la Saône (Pontailler) jusqu’aux marches des Vosges.
Revenons au château d’Ougney ; Sa position précise s’explique par des détails particuliers du site conduisant à une localisation inspirée par la logique. L’examen d’une carte du relief montre en effet, dans la ligne des avant-monts formant une crête d’environ 350m d’altitude qui court de Dole à Besançon en incluant le curieux massif granitique de la Serre, une profonde coupure de direction méridienne, due probablement à une faille.
Cette coupure qui prend même la forme d’une gorge dans sa partie la plus étroite forme une sorte de cluse mettant en communication la vallée de l’Ognon avec celle du Doubs.
Cet accident du relief a eu une influence considérable sur la géographie humaine du lieu .
Du col de Taxenne, par exemple ou encore de la ferme de Vassange-Haut, à la sortie sud de Gendrey, le regard peut embrasser en effet les plateaux de Haute-Saône, au delà de la vallée de l’Ognon vers le nord, tandis que vers le sud se découpe sur l’horizon du ciel, l’arrête de couteau du mont Poupet s’enlevant vigoureusement sur le sombre premier plan de la forêt de Chaux. Et par temps clair, certains paysans affirment même apercevoir le Mont Blanc.
Cette coupure ouvrait donc dans la barrière des avant-monts une brèche naturelle qu’il fallait verrouiller. Le château d’Ougney est le verrou qui interdisait de prendre la route du Sud vers Salins et vers les plateaux du Jura. Ce rôle stratégique profondément local est la raison d’être d’une fortification aussi importante qui ne se situe ni sur une butte ni sur un éperon mais au centre même de la petite vallée de la Vèze qui débouche sur l’Ognon
1 Sur la rive gauche Pesmes, Marnay, Montbozon et Lure avec leurs garnisons joueront au temps de la conquête un rôle important.
2 Elle fixera, au moment de la mise en exploitation des mines de fers, la ligne ferrée branchée à Labarre sur la section Besançon-Dole vers Montagney et Gray. Au moment de choisir le tracé d’une liaison franco-suisse la concurrence des réseaux de l’Est et PLM fit étudier un tracé Paris-Chaumont-Pontarlier-Vallorbe en utilisant le passage Gray-Labarre.
Les entreprises françaises sur le comté de Bourgogne d’abord avec Louis XI, puis avec Richelieu et Louis XIV, vont signer l’arrêt de mort de cette belle demeure.
Parmi tous les blasons dont sont gratifiés les divers villages du Jura, celui de « culs fouettés » qu’on donne aux gens d’Ougney mérite qu’on en relève l’origine.
Ce qui peut paraître aujourd’hui une injure, pouvait être revendiqué alors comme un titre de gloire.
En 1477, Dole vient de donner une rude leçon au sire de Craon, lieutenant de louis XI qui assiégeait la ville. Il voulait s’emparer de Dole par la famine et vint à la tête de ses troupes ruiner les châteaux des environs.
Celui d’Ougney est le premier qu’il attaque, ses murs épais et ses fossés profonds le faisaient regarder comme une des solides forteresses de la province. Malheureusement, sa garnison était faible.
Il faut appeler à la rescousse tous les paysans du village qui se retirent dans l’enceinte mais sans armes, autant de bouches inutiles sans pouvoir être d’un grand secours.
Le 13 août 1477, Jean de la Trémoïlle, sire de Craon, se présente devant le château ; Selon l’usage, avant de commencer le siège, il tente par de belles promesses, puis par menace, d’obtenir du capitaine qui le commande la reddition pure et simple. On lui refuse, arguant qu’en rendant la place on perdrait l’honneur et qu’on préférait perdre la vie.
Aussitôt, le sire de Craon fait jouer ses couleuvrines et donne un premier assaut. Repoussé avec pertes, il envoie de nouveau un parlementaire qui remontre aux assiégés que, quels que courageux qu’ils fussent, ils ne pourront tenir longtemps, sans munitions et sans vivres. Pour épargner d’aussi « vaillantes gens », il leur promet de la part du Roi non seulement la vie sauve mais encore des honneurs pour les chefs et une gratification pour les soldats !
Mais le capitaine du château se met en colère : « Retire-toi, misérable. Le sire de Craon ne t’a pas dit de conseiller la lâcheté à mes soldats ; tu outrepasses ses ordres. » Et comme le parlementaire se permet alors un geste irrévérencieux, un des soldats lui décoche un coup d’arquebuse qui lui casse le bras droit.
Le sire de Craon, voyant la détermination des défenseurs d’Ougney, fait alors donner à nouveau l’artillerie avec violence. Pour narguer les assiégeants, quelques soldats sortant leurs bras par les meurtrières, essuient avec un long linge blanc les traces que les boulets laissent sur les murs. Irrité par cet affront, le lieutenant de Louis XI jure d’emporter coûte que coûte cette place opiniâtre.
Le sixième jour, ayant concentré tous les coups de son artillerie sur un seul point, un pan de muraille s’écroule dans le fossé, les troupes du roi s’élancent sur la brèche et bousculent les vaillants défenseurs… la forteresse est enfin tombée.
Le sire de Craon oublie alors sa générosité et le rare courage de ces braves.
Il les fait dépouiller de leurs vêtements et sur les remparts même ordonne qu’on les fouette de verges, à la vue des troupes royales et des villageois consternés
Le château réparé ensuite au XVième siècle devait jouer à nouveau son rôle de protection pendant la conquête de la Franche-Comté.